Categories

Accueil du site > 49. Nos chroniques > 50. Chronique de Jacques NÉSI > Pourquoi les haïtiens les plus riches devaient payer plus d’impôts (...)

Pourquoi les haïtiens les plus riches devaient payer plus d’impôts ?

mardi 22 avril 2014, par Jacques Nési, Kònlanbi

Au cœur de la crise économique actuelle, les riches dans les pays occidentaux sont interpellés sur leurs hauts revenus, et sur l’esprit de solidarité que le pays qui leur a tout donné attend d’eux, au moment où il connait des difficultés. Le président américain Barrack Obama demande récemment que les américains les plus riches paient plus d’impôts. En France, le président François Hollande souhaite faire contribuer les plus fortunés au redressement des comptes publics en instaurant une taxe exceptionnelle à 75 %.Hollande n’est pas le seul à durcir la fiscalité des plus aisés : Roosvelt en 1941 fixe le seuil du taux d’imposition des plus riches à 91% : des années 30 jusqu’en 1980, le taux fut en moyenne de plus de 80%.On sait que depuis Ronald Reagan, une tendance lourde tend à considérer le taux d’imposition élevé comme pénalisant pour l’économie, il a été abaissé brutalement à 30%,35%.

Au nom du principe de solidarité en Haïti, que comptent faire les riches ? Quand Michel Martelly va-t-il décider de demander de payer plus d’impôts à ces riches dont la plupart ont acquis, accumulé leurs richesses grâce à la générosité de ce pays qui les a accueillis, les a socialisés, leur a donné une idendité,une nationalité, leur a forgé une communauté .Haïti avec la complicité des dirigeants politiques vénaux les a laissés construire cette société d’apartheid, cette jungle de préjugés , ce réseau où se nouent dans le silence des pactes, des alliances, des liens invisibles entre les maitres de l’économie insulaire. Le rôle de ces « entrepreneurs » dans la crise économique haïtienne reste crucial :il est vrai le terme entrepreneurs ne convient pas à ces héros qui tentent de répondre à la sinistrose ambiante, et qui refusent tout abandon de ce pays, quelles qu’en soient les difficultés. S’ils prennent des risques énormes-enlèvements, assassinats politiques, baisse de la productivité, destruction des installations et équipements-ils ne peuvent être dans le sens de Schumpéter, considérés comme des « entrepreneurs » dans la mesure où ils n’engagent pas d’efforts en quête d’innovation , cette « impulsion fondamentale qui met et maintient en mouvement la machine capitaliste qui est imprimée par les nouveaux objets de consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les nouveaux marchés, les nouveaux types d’organisations industrielles-tous éléments créés par l’initiative capitaliste. »

On sait que les riches en Haïti sont perçus comme étant des brahmanes, des intouchables, des catégories estimées à 3% qui gèrent 80% de l’économie du pays, clôturés en villégiature , fixés dans des villas bâties en montagne, bordées de jardins luisants d’orchidées, d’orangers, qui seraient acteurs de ces inégalités abyssales , renforcées au fil des années, malgré l’exercice du pouvoir par des hommes politiques issus de la mouvance gauchisante. Jean-Bertrand Aristide, lors de son premier mandat en 1991, avait la légitimité nécessaire pour réduire ces inégalités, mais il lui a manqué l’intelligence politique, le souci du compromis, et il n’a pas pu faire échec à la détermination des minorités possédantes à s’accrocher à leurs acquis matériels au détriment de la cohésion sociale. Se gardant de prononcer des accusations faciles et populistes, on ne peut jeter l’opprobre sur ces créateurs d’emplois, ces créateurs de richesses qui jouissent des situations quasi monopolistiques-les aciéries, les boissons, la distribution, l’importation de produits alimentaires, ces riches ont profité des évolutions démographiques d’Haïti de la détérioration de la production nationale pour y suppléer des importations de produits. On peut évoquer les avantages comparatifs qu’a facilité la loi Hope, renforcée après le séisme du 12 janvier 2010, qui exonère des droits de douane à l’importation. Les crises politiques ont frappé certes ces acteurs économiques, mais d’autres ont compris le caractère juteux du marché de la téléphonie mobile, rappelant sans doute qu’Haïti est un marché économique attractif, contrairement aux messages prudenciels diffusés par les représentations diplomatiques occidentales.

En 2010, malgré la crise post-séisme, la Direction Générale des Impôts a récolté 200 millions d’euros d’impôts. Elle dispose d’une liste de plus de 100 plus grands contribuables, auxquels il faut ajouter la taxe par exemple de 1.4 million d’euros en 2010,versée par une société de téléphonie mobile, disposant d’une situation de positions dominantes sur le marché haïtien. Il ne s’agit pas d’encourager la fuite, l’exil fiscal des plus riches, mais de leur faire comprendre qu’il est dans leur intérêt d’accompagner Haïti vers la promotion et la construction d’une société plus juste et digne. Une société déchirée par des inégalités finira par imploser, rien ne dit que les haïtiens les plus riches n’en feraient pas les frais. Par lâcheté, le pouvoir s’appuie sur les recettes de la diaspora. Sans aucune explication.

C’est une mesure injuste visant à considérer la diaspora comme la vâche à lait au régime de Martelly. D’une part, c’est la diaspora qui soutient l’économie d’Haïti à travers ses transferts, et de l’autre, c’est elle qui se sacrifie pour assurer la prise en charge des proches établis sur Haïti. En ce sens, il n’est pas exagéré de dire que Martelly a effectué un véritable « hold-up » sur les revenus de transfert ,et en contrepartie,la diaspora ne reçoit que mépris, ostracisme et mensonges. Or ,les riches d’Haïti qui bénéficient de certains privilèges-certains exercent des activités en monopoleurs indomptables et protégés par le président de la république-il est normal qu’ils soient mis à contribution, dans toute action visant à réduire la pauvreté en Haïti. D’ailleurs, peu d’entre eux acceptent de rémunérer les salariés en proportion des efforts consentis, au mépris de la loi sur le salaire minimum.

Mais les principaux acteurs de l’économie qui appartiennent au capitalisme familial ont soutenu l’aventure politique de Michel Martelly. Ce soutien , en contrepartie, ne saurait être limité à l’obtention de franchises douanières, de passe-droits, d’obtention de marchés publics en violation des règles de publicité exigées en la matière. Le soutien que Martelly doit rechercher auprès de ceux qui mettent les bâtons dans les roues de nouveaux investisseurs, viserait à élargir l’assiette fiscale des haïtiens les plus riches. Il y a lieu de modifier son barème , de rechercher une contribution ,par le vote d’une loi visant la réforme fiscale , sur les gros patrimoines. Martelly devrait, en outre, engager des mesures taxant les revenus supérieurs , dans un cadre donnant-donnant.

Il est injuste de demander aux classes moyennes qui ont déjà des difficultés ,de participer au redressement des comptes publics, à hauteur de 13%.Ce prélèvement est punitif pour deux raisons. D’une part, bon nombre de cadres haïtiens souhaitent revenir en Haïti apporter leur contribution , les soumettre à ce prélèvement n’est pas justifié et constitue une raison dissuasive. Cette mesure, d’ailleurs illégale, puisqu’elle n’a pas été votée au parlement risque de décourager les nouveaux acteurs de l’économie locale .La deuxième raison :ce prélèvement pousse les entrepreneurs à des incivilités, ils peuvent être tentés de pratiquer l’évasion fiscale.

Il est urgent de ne pas épargner les détenteurs de plus hauts revenus à la relance de l’économie locale, aux réorientations de l’économie, dans les efforts d’Haïti de rompre avec la dépendance financière vis-à-vis de la communauté internationale . La distribution des allocations aux catégories les plus faibles ne saurait justifier une pression fiscale sur la rémunération des catégories moyennes, il faudrait s’intéresser au capital, aux plus-values, à la rémunération du patrimoine des plus hauts revenus. Le gouvernement haïtien engage une communication envahissante autour des subventions allouées à des franges ciblées de la population (kredi roz, ti manman cheri,ede pep) ,mais ces mesures, palliatives, qui sont loin d’être des actions efficaces, capables de changer les conditions économiques des haîtiens, ne peuvent pas limiter les profondes inégalités de la société haïtienne. D’ailleurs ces allocations ne sont au service que des fins électoralistes dans la préparation pour la confiscation des prochains résultats des consultations électorales. La lutte contre les inégalités exigerait des initiatives correctrices visant à s’attaquer ,avec courage, sans démagogie au défi de la répartition des richesses nationales par les implications des catégories les plus riches. Il est clair que du côté du gouvernement, la cohérence impose la réduction du train de vie du président de la République, du premier ministre, de ses ministres, des parlementaires, des hauts fonctionnaires, qui doivent comprendre que la réduction des dépenses est une urgence. Cela peut sembler sans importance pour ces parasites appartenant à ce sale petit univers jouisseur et heureux, mais quand un dirigeant refuse de mettre ses actes en cohérence avec ses discours, il n’est qu’un démagogue , voué au feu du courroux des masses impatientes et vindicatives. Un jour ou l’autre.